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mardi 27 novembre 2012

VIOLENCES

   Paris, toujours en mouvement, ville dont les atomes circulent continuellement entre la surface et les tréfonds, entre les boulevards et les ruelles...
   Lui, marié à une peau de vache qui le repousse indéfiniment et torture sa libido. Deux mamelles flasques qui voudraient lui faire oublier à jamais comme il a pu l'aimer. Deux fesses flétries qui n'ont plus rien à voir avec celles qu'il avait épousé. Deux yeux plus souvent rouges de colère, de fatigue ou de reproche que de passion.
   Elle, découvrant peu à peu la liberté des fréquentations d'un soir, assumant sa féminité et ses envies, se considérant l'égale des hommes et sachant ses nuits dépendantes de ses propres choix. Ses jambes élancées l'emmènent vers les lits qu'elle désire et elle est loin de les imaginer contraintes à s'écarter tant elle y prend plaisir. 
   Lui, frustré, épuisé mais rêveur, toujours. 
   Elle, satisfaite et jouisseuse ne voyant pas les jours passer, ni les nuits défiler.
   Lui, admirant les belles plantes des rues de Paris, qui éclairent le pavé de ses mornes journées, comme des publicités destinées à n'être jamais touchées. 
   Elle, séduisant et se laissant séduire par les plus beaux mâles de la capitale, ne se considérant jamais comme une tentation mais comme la maîtresse d'une vie toujours plus grande et plus libre.

   Elle vit sur les bancs du métro, les pieds fourrés dans ses rangers, sa veste militaire sur les épaules, une bière entre les doigts, ne se souciant jamais du regard des autres. Il serre les genoux pour lui laisser la place, culpabilisant de lui trouver toute la fraîcheur d'un monde qu'il ne connaît plus. Elle rit avec outrance et lance des injures affectueuses à ses amies qui la lâchent et quittent le quai. Elle se rassied, le sourire aux lèvres, se sentant dans ces couloirs qui sentent la pisse, comme chez elle. Lui, toujours vissé sur son siège, continue à la regarder comme un rêve lointain. Mais peu à peu, sous son jean grossier, il sent une chaleur oubliée. C'est qu'elle semble si facile à aborder. Il relâche un peu ses muscles, devine sous son gros manteau une poitrine généreuse, sous sa robe relevée, des cuisses rebondies, il voit ce qu'il veut voir en cette silhouette assise. Elle reste dans ses pensées, insouciante, peut être même rêve-t-elle à ses conquêtes, se voyant finir la nuit avec son voisin ou avec le serveur d'un bar. Elle ne sait pas bien qui ce sera mais elle sait la futilité de ce choix, et c'est le principal. Elle sait qu'elle peut partir avec qui elle veut et que cette simplicité fait partie de son quotidien, de cet éternel recommencement et de ses éternelles surprises. 


   En attendant, lui, il s'est rapproché, et en un clin d'oeil, il saute l'étape de l'approche et lance une grosse main entre ses jambes, sans oublier de placer ses doigts sur la bouche délicate de la fille. Tout va très vite, elle ne se débat pas vraiment, imaginant presque un de ses "amis" la surprenant pour mieux lui faire plaisir. Lui, plutôt satisfait de cette réaction molle, bien qu'inconscient dans la précipitation, écarte la culotte trop vite accessible, il entre en contact avec la toison douce et chaude, malgré les quelques coups de genoux qu'il commence à prendre, il ne se concentre que sur son propre plaisir. Elle a compris, elle quitte ses pensées et repousse de la main l'épaule rustre de l'homme. Elle a lâché sa bouteille, elle le regrette mais n'a pas le temps d'y penser. Il a les mains froides et rêches, ses ongles éraflent sa peau délicate. Elle essaye de gémir, mais il est tard et personne ne l'entend. Son sac est tombé à terre, elle n'a pas grand chose pour se défendre. Lui, emporté par les rêves à répétition qu'il a fait pendant des années, atteint très vite les lèvres de la fille, elles sont délicates et humides, il y pénètre très facilement, ils sont à présent debout contre le mur froid. Il empoigne son genoux et le lève contre sa taille, la culotte en lambeau tombe au sol, découvrant son sexe. Elle tente de se débattre mais ses forces l'abandonnent, la surprise la paralyse, elle est incapable de bouger, elle se sent tomber. Elle qui se croyait si forte, presque invincible dans ses grosses chaussures, sent les gros doigts de l'homme entrer en elle, elle le voit s'exciter, il enlève son pantalon d'un tour de main et elle est incapable de réagir. C'est maintenant le sexe de l'homme qui la pénètre, libérant ses mains indélicates. Il attrape ses bras, la tenant immobilisée contre le carrelage de céramique blanche. Elle ne sait plus quoi penser, elle n'a ni peur ni mal, à vrai dire elle ne ressent plus rien. Une larme perle au coin de son oeil, sûrement les restes de sa frayeur, mais tandis que l'homme la secoue voilement elle reste là, impassible. Ses tympans sifflent un peu, elle n'a plus conscience de rien, le silence de la scène la surprend presque, elle voit sur le quai du métro, un homme violant une femme, c'est tout...


   Puis il tombe à ses genoux, la tête baissée. Elle est toute débraillée, les jambes plantées dans le sol aussi faibles que des brins d'herbe soutenant un insecte. Elle ne ressent pas tout de suite la vulnérabilité du déchet à ses pieds, mais peu à peu, elle réalise : cet homme est un concentré de violence, une boule de haine et il lui a refilé cette hargne. Elle sent ses forces la reprendre et balance avec colère son pied dans l'estomac de l'homme. Il est roulé en boule au sol, ses yeux débordent de larmes, il se déteste, il relâche ses jambes, offrant son ventre aux énormes godillots qui le fouettent. Il n'a qu'une envie, c'est mourir sur ce quai, la bite à l'air, et le sang aux lèvres. Il ne peut pas rentrer chez lui, il ne peut pas vivre avec ce qu'il vient de faire, et pourtant, il l'a fait. Elle continue à frapper dans l'être qui gît au sol. Sa détresse amplifie la puissance de ses coups. Bientôt, le corps n'est plus pour elle qu'un défouloir et elle expulse tout ce qu'elle ressent. Elle voit bien la petite flaque rouge qui s'épand sur le sol sale du quai, mais elle est encore la victime, elle continue de battre son agresseur, les poings serrés. Il sait où elle l'emmène, ses yeux le piquent, il se tord de douleur et de remords, il perd la conscience de son corps. Il voit les rails se tordre sous ses yeux embués. Elle se défoule, elle n'est plus elle même, devenant peu à peu la créature de violence qu'elle attaque. Ses yeux sont rouges, elle ne pense plus à rien et ne trouve bientôt plus en elle assez de haine pour continuer à taper, elle tombe assise sur le banc, les yeux dans le vide, traversant le corps inerte. 



Elle inspire et expire l'air lourd d'un tunnel qui a vu trop de violences. Et ces deux corps blessés font face à leur faiblesse, à leur vulnérabilité ainsi qu'à la puissance qu'ils contiennent, qu'ils retiennent sans cesse jusqu'à ce que les liens cèdent. Ces corps qui ont dépassé la raison, la conscience de leurs êtres.

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